un monument d’art populaire : Bob et Bobette par Willy Vandersteen

Quand Vandersteen compose un conte nordique avec Bob et Bobette.
Couverture de l’édition originale, sans doute 1953.

Voilà donc un centenaire plutôt discret !
Willy Vandersteen est né il y a 100 ans (et 1 mois), et en France tout le monde a l’air de s’en foutre.
C’est donc le moment idéal pour essayer de partager mon enthousiasme pour l’œuvre de ce pionnier de la bande dessinée Flamande à l’origine de la plus longue série de bande dessinée existant en Europe, Suske en Wiske, connu en français par le nom Bob et Bobette.
Si cette série est la plus grande et la plus populaire en Flandre, c’est également, à mon sens, l’une des plus réjouissantes de la BD franco-belge.
Vandersteen a créé un nombre important de séries comme les farces de monsieur Lambique, la famille Guignon, Bessy, le chevalier rouge, Robert et Bertand ou encore Jérôme (spin-off de la série Bob et Bobette), qui comptent, pour certaines, plus de 200 titres.

Il a également réalisé, dans un style pseudo-réaliste et avec beaucoup de talent, l’adaptation en BD d’une pièce importante de la littérature flamande (et de l’inconscient collectif flamand), l’histoire de Thyl Unlenspiegel (curieusement traduit par Till l’espiègle en français ) dans sa version revisitée par Charles Decoster qui méla le facétieux Thyl à  l’évènement historique majeur pour les Flamands que fut « la révolte des gueux », qui conduisit à leur libération du joug espagnol au milieu du 16ème siècle. Accompagné de ses amis Nele et Lamme, Thyl symbolisa alors le courage des Flandres et l’esprit belge. Pour marquer ce trait, Vandersteen n’hésita pas s’éloigner du terrible Thyl des origines, sale gosse grossier qui jouait de sales tours aux villageois plutôt aisés.

Thyl Ulenspiegel "la révolte des Gueux" page 66 de l'édition originale Lombard 1954
Thyl Ulenspiegel « la révolte des Gueux »
page 66 de l’édition originale

C’est toutefois la série Bob et Bobette qui synthétisa presque toutes les trouvailles de l’auteur et qui rassembla la grande majorité des éléments de son style si singulier .
C’est aussi dans certains albums de cette série que l’on trouve les successions de planches les plus abouties du maître qu’Hergé surnomma très justement « le Bruegel de la bande dessinée ».
Aussi populaire en Flandre que Tex Willer en Italie, Astro boy au japon ou Snoopy aux états-unis, cette série compte aujourd’hui plus de 250 albums, réalisés pour la plupart par le Studio Vandersteen, longtemps composé de disciples du maître, dans la plus pure tradition flamande.

La joyeuse équipée qui peuple cette série se forme peu à peu durant les premiers albums, pour n’être vraiment complète qu’à l’arrivée de p’tit Jérôme, l’Hercule au cœur d’enfant et au langage très particulier, dans l’album les mousquetaires endiablés, en 1953 (1955 en français).

1ère apparition de p’tit Jérôme, un étrange être préhistorique utilisé au départ comme arme secrète…

difficile de voir chez ce nain indestructible le futur hercule de la famille, qui aura sa propre série comme super-héros costumé !

C’est une drôle de famille qui se forme ainsi, uniquement faite de pièces rapportées avec, comme seul lien de parenté avéré, celui qui lie Bobette et « tante » Sidonie, les deux premiers personnages de la série. Plutôt étrange et sans doute moins rare dans les périodes d’immédiate après-guerre, ce genre de composition pseudo-familiale permet infiniment plus d’histoires alambiquées (c’est le cas de le dire), puisqu’il règne une grande liberté d’action chez chacun.
Cela permettait également à l’auteur d’éprouver l’affection de ces héros entre eux à chaque album (ou presque) sans que cela ne soit lassant ou trop mièvre.
En fait, l’équipée ainsi formée par Vandersteen, à la fois très unie et composé de personnages très libres et indépendants les uns de autres (apparemment) avait la forme parfaite pour voyager à travers toutes les époques, tous les pays, bon nombre de contes et légendes sans que cela ne fusse lassant.

En France, suite à la parution dans le journal tintin, les jeunes lecteurs découvraient une Bobette autre, moins chipie et bien plus élégante,  Lambique et Bob plus altiers, mais furent privés de la présence de la tante Sidonie. C’est à la demande d’Hergé, alors maître incontesté de la BD franco-belge et grand manitou du journal de Tintin, que Willy Vandersteen donna une forme plus « ligne claire » à sa série, justement moins Bruegelienne , aboutissant à quelques joyaux comme l’incontournable Clef de bronze. Cet  album en particulier, que j’affectionne grandement, est probablement le moins « populaire », c’est à dire le plus « bourgeois » de tous : le point de départ est un bel hôtel de Mocano (Monaco), et l’intrigue se situe autour du prince René II. Vandersteen s’amuse même à caricaturer un côté bonne famille exacerbé chez nos héros.
C’était donc l’album ultime pour être publié chez Hergé…

plongée sous-marine et principauté, l’album idéal pour être publié dans le journal de Tintin.
Page 7 de « la Clef de bronze », édition originale de 1957, collection du Lombard.
On notera la différence de ton avec l’album « les chevaliers de la rue » paru au même moment chez Érasme, franchement anar en comparaison…

les terribles crabes géants dans les grottes secrètes sous mocano.
Page 38 de la « Clef de Bronze »

Pourtant, si l’âme de la série se perçoit dans ces albums dits de la période bleue -appelés ainsi du fait de la couleur d’une partie des albums de la série parus dans la collection du Lombard après être passés dans le journal du célèbre reporter-, cela reste un peu édulcoré. elle s’exprime pleinement dans les albums publiés parallèlement chez Erasme, dans ces albums brochés rouges (ayant au début de la série une version cartonnée avec dos toilé rouge).

« Les Martiens sont là! », l’un des quatre albums brochés bleus, pré-publiés dans le journal de Tintin. Edition originale, collection du Lombard 1956, disponible sur paris-bd.com

En effet, les histoires du journal de Tintin sont pourvus de fantaisie (les crabes géants de la clef de bronze m’ont marqué à jamais, comme Lambique prenant sont petit déjeuner sur la tête d’un dinosaure) mais les albums parus chez Erasme semblent n’être soumis à aucune espèce de filtre, et l’histoire est étoffée d’instants burlesques, de monologues excentriques, venant souvent de Lambique et de tante Sidonie, ainsi que des scènes parfois loufoques ou inquiétantes.
Il y a assez peu de séries avec une intrigue grave et des sujets dramatiques ainsi ponctués de moments délirants voire burlesques.
On retrouve ça de manière nettement moins débridé avec la présence de Tournesol dans les aventures de Tintin, avec Fantasio dans les aventures de Spirou, mais on constate que ce sont les personnages secondaires qui font preuve d’excentricité et non les héros.
Le seul auteur qui me vienne à l’esprit dont les personnages passent ainsi du comique au grave ou au tragique est Ozamu Tezuka, le père d’Astro Boy. Je tâcherai d’ailleurs de démontrer les grandes similitudes qu’il y a entre ces deux très grands auteurs de bandes dessinées, comparables en bien des points (un futur volet de ce modeste dossier Vandersteen).
Dans les aventures de Bob et Bobette,  le personnage principal est l’ensemble de cette famille recomposée et, à part Bob, dans l’ensemble plus sensé -quoique les épisodes à Amphoria nous en feraient douter-, cette famille-héros est constituée d’individus au comportement atypique, alternant gravité et bouffonnerie sans que la lecture en soit perturbée.
M’est avis, pour clore cette petite présentation totalement arbitraire de la série aux 250 albums, que rares furent les séries dont la conception et la forme permit si aisément d’aborder tous les thèmes ou presque, sociaux, politiques, historique, spirituels, sans manquer d’auto-dérision et d’un humour tantôt féroce et tantôt très bon enfant, de sorte à ne jamais être lassant.

Bob et Bobette au pays des Nibelungen.
Ici l’opposition entre Bobette qui profite de son statut de princesse (légitime quand on est une jeune fille) et Bob qui s’insurge contre l’ordre établi et préfère une vie frustre à l’injustice de la vie au château.
« le trésor de Fiskary » éditions Erasme 1954.

C’est une lecture savoureuse et marquante, dont la forme peut paraître un peu surannée mais qui, bien au contraire, me paraît conserver une fraîcheur, une liberté et une vivacité que les sages monuments de la BD franco-belge de la ligne claire n’ont pas.

…La suite ensuite !

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2 réponses à un monument d’art populaire : Bob et Bobette par Willy Vandersteen

  1. Jean-no dit :

    La suite tout de suite !

  2. Sylvie dit :

    Il y a eu une suite à cet article ?? C’est très intéressant !!

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