Bdm et cotes : l’Oeuf ou la poule ? (2 sur 3)

Sont-ce les libraires qui fixent les cotes, forts de leur expérience et de leur contact permanent avec les collectionneurs, cotes reportées scrupuleusement par les auteurs du BDM, appuyés par la somme des résultats dans les salles de vente spécialisées et lieux de vente électroniques ?
L’ensemble des échanges de la bande dessinée retrouve-t-il sa traduction fidèle dans cet argus (le mot est d’ailleurs apparu récemment…) ?
Le libraire d’aujourd’hui n’est-il pas plutôt un tantinet esclave de cette bible de la collection, qu’il l’approuve ou non ?

Malgré l’immense service rendu par ce travail de plus de 25 ans, il semble que le marché souffre -parmi d’autres maux- du fait que le BDM est perçu par un très grand nombre de collectionneurs, et de marchands, comme une vérité divine; quiconque contrevient à ses directives est soit inconscient, soit un voleur. Quel marchand n’a pas entendu la phrase «Quoi? 25 euros? mais la cote BDM est de 22 euros!!!» ?.
Un collectionneur qui regarde le prix d’une édition originale et s’écrit «Quoi, 25 euros? Mais cette BD est partout, l’édition originale est trouvable en neuf dans certaines librairies !!» nous paraît faire preuve d’un peu plus de distance . Evidemment, on peut argüer que c’est la même chose, que le BDM évite justement au collectionneur de sillonner toutes les librairies de France pour se faire son idée. Pourtant il me semble que l’on revienne ainsi à la problématique de l’origine, l’Oeuf et la poule.

–Définition d’une poule :
1) Femelle du coq, oiseau de basse-cour de la famille des gallinacés.
2) Groupe d’équipes qui se rencontrent lors des éliminatoires d’un championnat.
Je n’invente rien…
Je ne rentrerai pas dans le débat qui consisterait à dénoncer un intérêt de libraire derrière le choix des cotes, pourtant on peut légitimement se demander quel libraire saurait ne pas faire intervenir son intérêt dans l’élaboration de cotes qui vont déterminer le prix de ce qu’ils vendent, des années durant…!!
Le temps et l’expérience faisant, on s’extrait de la sacro-sainte parole du BDM, et les collectionneurs chevronés, ne s’y trompent pas non-plus : le BDM est à prendre avec distance : la valeur d’un ouvrage est celle pratiquée lors des transactions entre marchands et amateurs, BDM ou pas…

Non, le problème est ailleurs. Quand on épluche le BDM, on passe son temps à s’offusquer de telle ou telle cote, ce qui est normal, preuve que c’est un marché vivant, dans lequel chacun a de l’expérience pour juger de la rareté de tel ou tel album. Cette rareté est le résultat du ratio entre offre et demande, ce qui signifie qu’un album à fort tirage, s’il est devenu en quelques années recherché de tout collectionneur, devient mécaniquement peu fréquent sur le marché, étant dans sa phase ascendante : cherché par tous et rejeté de sa collection par aucun collectionneur.

Pourtant, à fréquence égale sur le marché, on ne peut pas dire dans l’absolu que l’édition originale d’un album comme Rapaces n°1 de marini (gros tirage de Dargaud) soit aussi rare que Perramus d’Alberto Breccia, tirage fragile de 1000 exemplaires, réellement rare. Pourtant, à 10 euros près (de plus sur l’album de Marini), leur cote est la même…
A mon sens, le problème posé n’est pas la réalité de la cote du Rapaces en question à un moment donné. Le problème est le choix dans la manière de le traduire en argus. En effet, soit on juge la valeur d’un bien au jour le jour, comme à la bourse, et on peut admettre de rendre compte d’une hausse ou d’une baisse significative, fonction d’un évênement ou d’une mode subite. Dans ce cas, pas de mal, l’acheteur et le vendeur s’inscriveront dans une dynamique instable et s’en accomoderons. Il faudra dans ce cas que l’équipe du BDM modifie très vite la fréquence de sortie de son ouvrage car ce ne sont pas les quelques mises à jours publiées dans l’intervalle de la sortie bi-anuelle qui permettrons de rendre compte de la vitesse de certains changements; soit on juge de la valeur présumée des ouvrages BD de manière plus stable, en appliquant une certaine réserve, c’est-à-dire une différenciation entre les albums rares et les albums sous le coup d’une mode ou d’un engouement immédiat, subissant du même coup une hausse du prix de l’édition originale. Car en il semblerait que c’est le cas de presque toutes les BD récentes chèrement cotées : le succès commercial entraîne une partie des collectionneurs à rechercher tout de suite l’édition originale (surtout du tome 1 si c’est une série). De cette urgence à acquérir l’objet naît une spéculation tout à fait curieuse, qui s’accentue si l’ouvrage de référence —ici le fameux BDM—  en suit les excès, et parfois, trop souvent je pense, les devance…
Bilan :

1) Certains collectionneurs habitués à se fier au BDM ont acheté ces dernières années des ouvrages récents en édition originale, à la cote, sans se douter un seul instant qu’au BDM suivant, l’ouvrage allait baisser conséquement, alors même que la montée fulgurante établie par cet argus semblait traduire une rareté réelle.
2) Certains albums ne peuvent plus arriver dans les librairies, victimes de leur cotation ! En effet, le collectionneur éclairé, s’il décide de se séparer d’un certain nombre de BD, fera un tri en excluant d’emblée bon nombre d’albums parfois peu fréquents, cotés 15, 12, 10 ou même 8 euros…! Qui seraît près à se délester d’albums comme la serviette noire (Götting, collection X, Futuropolis 1986, cote 15 euros), Grandes chasses du capitaine Barbedure (Marijac, Gordinne 1941, cote 12 euros), Rien de spécial (Petit-roulet Ed. du Fromage 1980 —cote 11 euros), Drames de famille (Willem, éd. du Square 1973, cote 10 euros) ou Morsures (J.Teulé, Ed.Echo des savanes 1982, cote 9 euros) à la moitié de la cote, voire à cote divisée par 2,5 ou 3 (en fonction de l’état, ou pour accuser le négoce) ? Ce genre d’album ne peut nous parvenir qu’emmené par quelqu’un qui n’a jamais eu à le chercher !
De même, lorsque le BDM cote à 30 euros le tome 6 d’une série moderne (exemple : Cixi impératrice, 6ème tome de la série Lanfeust de Troy, éditions Soleil 1998) sans se soucier de la validité d’une cote pourtant en contradiction avec le tirage (la série était enfin en plein boum, le succès justifiant des tirages énormes), il met, malgré lui, le libraire dans la position délicate de devoir dire :« Je ne peux pas vous acheter cette BD plus de 7/8 euros car je pense que sa valeur en boutique n’excède pas 15 euros » (hors-négoce lors de sa vente…), engeandrant parfois un regard chargé de méfiance chez le collectionneur à qui la bible a donné l’irréfutable valeur du trésor de la bande dessinée qu’il a dans les mains…
N’allez pas croire que j’en veux au BDM d’avoir un tel succès, d’être suivi dans ses indications par tant de gens… Pas le moins du monde, je trouve leur travail colossal et je salue la librairie Lutèce, associée au BDM, qui m’a ouvert les bras bien grand à mon arrivée dans le métier. De plus, j’ai bien pris le soin d’y mettre une pub en couleurs là ou il faut (section Tintin P.39). Non. Mon reproche, car il y en a vraiment un, est le suivant : comme l’on ne vend bien que ce que l’on connaît, on ne cote vraiment bien que ce que l’on aime et donc, connais bien. Je pense que le BDM n’est fiable que pour une partie de la production banddessinéesque.
Coter les albums issus du journal de Spirou ou Tintin, les recueils de périodiques les plus célèbres ou les autres séries mythiques d’avant-guerre et d’immédiate après-guerre comme Bécassine ou pat’apouf est un travail qu’ont su faire ses rédacteurs depuis toujours, tout en restant en aval et non en amont des changement, des flambées etc. Coter les revues modernes ligne claire comme (A suivre), les revues d’étude historiques comme Giff-Wiff ou les petits tirages (de tête ou de luxe, de libraires belges ou d’associations des années 70/80) est également dans les choses qu’ils font avec talent, et de manière très juste. Nombre de récits complets et les titres phares des petits formats rentrent dans ce cadre, ainsi que ce qu’ils appelent les collections d’auteurs ou les Silly Symphony… EN bref, toute la BD « classique » se situant avant les années 75, et 100 ou 200 exceptions après 1975.
Mais lorsque j’observe leur manière de coter les ouvrages de BD non-conventionnelle des années 70 à nos jours, les comics, les mangas, les revues modernes underground, la ligne crade des années 80, presque toute l’école Espagnole et même argentine de ces mêmes années, les Fumetti érotico-épouvante, les Bazooka, les Pichard, Breccia, Willem et autres auteurs moins chers à leur coeurs d’amateurs de la BD propre, je m’offusque régulièrement…

…La suite ensuite.

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